Musique des sphères @ Colloque poésique 2021

Musique des sphères @ Colloque poésique 2021

Musique des sphères – Colloque Poésique – Décembre 2021 – Greg Beller – Université Grenoble

Présentation extraite du colloque Poésique 2021 – la musique des sphères, qui a eu lieu les 2 et 3 décembre 2021, à Grenoble, organisé par Caroline Bertoneche et Anne Cayuela de l’Université de Grenoble-Alpes UGA.

Introduction

[http://www.gregbeller.com/2013/10/musique-des-spheres/]

Bonjour, tout d’abord j’aimerais remercier la musicologue Pénélope Patrix que peut-être certains d’entre vous connaisse, pour m’avoir aguillé vers votre appel à contribution. Ensuite, je tiens à remercier les organisatrices et les organisateurs de ce colloque, dont j’apprécie jusqu’ici la tenue via vidéo-conférence. Je vous prie de bien vouloir excuser ma télé-présence ou réelle absence, et j’espère qu’elle ne nuira pas à la qualité de notre échange. J’ai de multiples mauvaises excuses pour ne pas être parmi vous, mais sachez que je déplore moi-même la virtualité dont je m’affuble.

Cette présentation possède plusieurs particularités vis-à-vis des autres interventions de cette journée. Tout d’abord, elle propose l’analyse d’une œuvre artistique récente, produite en 2013. Ensuite, cette analyse est menée par le compositeur de l’œuvre, moi-même en l’occurrence, ce qui me place dans la situation délicate d’être juge et partie.

Toutefois, la composition a reposée sur une approche pseudo-scientifique, instaurant un dialogue libre de la pensée entre l’analyse et la création. Cette situation au Nexus entre les Arts et les Sciences m’est familière, et a motivé de nombreuses œuvres artistiques, car elle est au cœur de ma formation et s’est illustrée comme un moteur de ma vie socio-professionnelle. A l’Ircam, institut dans lequel je travaille depuis 20 ans, à la direction du département Interfaces Recherche-Création, j’ai forgé un programme de résidence d’artistes au sein de laboratoires scientifiques, que j’ai formalisé ensuite dans le cadre du projet Européen STARTS. Dans un acte militant, j’ai eu le plaisir de pouvoir m’entretenir de la fécondité des relations arts-sciences dans le cadre de la conférence globale TEDx.

Si je mets ici l’emphase sur cet aspect constitutif de ma démarche artistique, c’est pour tenter de la situer dans le paysage des théories holistiques qui ont été magnifiquement présentées aujourd’hui. En effet, telle une mise en abyme, la composition de l’œuvre « musique des sphères », repose sur la mise au plan sensible de différentes théories reliant l’astronomie et la musique.

A défaut donc de vous présenter une analyse scientifique d’un corpus théorique, je vous propose lors de ma présentation une écoute analytique de ce corpus. Après avoir mis en contexte la création de l’œuvre « Musique des sphères », je tenterais d’en expliquer la démarche compositionnelle et en exposerai la facture.

Contexte

[http://www.gregbeller.com/2014/01/exhibition-cabinet-psychophonetique/]

« La musique des sphères » est un album de musique électro-acoustique créé pour l’association « formes élémentaires » dans le cadre de l’exposition itinérante « Mouvements et géométries de la pensée » qui a été créée en 2013 à Guyancourt, puis en exposée en 2014, à la galerie jeune création à Paris et au FRAC de Montpellier.

« Mouvements et géométries de la pensée » s’intéresse aux formes géométriques et aux phénomènes physiques à travers lesquels nous pouvons nous figurer l’activité mentale ainsi que le sujet pensant et parlant. Dans ce but, elle mêle objets d’art et objets mathématiques pour mettre en évidence la manière dont la découverte de nouveaux modèles dans l’histoire des sciences a pu remodeler la façon dont on se représentait de telles abstractions.

Les modèles mathématiques sont pourvoyeurs d’analogies. La référence aux mathématiques constitue le pivot de cette exposition, en ce qu’elle procède par définition d’un travail d’abstraction, proposant des modèles descriptifs hors de tout ancrage réel et par conséquent, potentiellement applicables à la description de phénomènes sans rapports.

Des figures employées pour décrire le monde physique peuvent ainsi être appliquées à la description de manifestations psychologiques : preuve de la constance des structures universelles à toutes les échelles, voire confirmation de la théorie pythagoricienne de l’harmonie cosmique ; ou simple projection de l’esprit sur les modèles simplifiés qu’il conçoit pour appréhender le monde sensible. “Formes élémentaires” propose ainsi pour partie d’envisager les correspondances entre macrocosme et microcosme qui ont alimenté les réflexions des philosophes holistes, vitalistes ou panpsychistes en laissant la question ouverte.

Dans la fabrication de cette exposition, est né le désir transgressif de rendre sensibles, certaines théories séculaires conférant aux astres des propriétés sonores. J’emploie le mot « transgressif » car ces théories, en leur temps, n’établissaient pas des similarités entre les proportions astronomiques et les intervalles musicaux dans le but de jouer vulgairement de la musique, mais plutôt dans le but de nourrir des réflexions métaphysiques.

L’œuvre et sa fabrication

http://www.gregbeller.com/2013/10/musique-des-spheres/

« Musique des sphères » est un album de musique électro-acoustique, qui donne à entendre une vingtaine de théories érigées au cours de l’Histoire dont le point commun est la mise en relation entre des corps célestes et des systèmes musicaux. Musica universalis ou Harmonie des sphères est un concept philosophique ancien qui considère les proportions dans les mouvements des corps comme une forme de musica. Cette “musique” n’est généralement pas considérée comme étant littéralement audible, mais comme un concept harmonique, mathématique et spirituel.

« Musique des sphères » offre de manière transgressive et agnostique à son auditeur, une écoute comparative d’une vingtaine de théories astro-musicales publiées durant ces trois derniers millénaires. Chaque système, par sa mise en contexte synchronique relativement aux connaissances musicales de l’époque, intervalles, diapasons, gammes, est représenté par une série de fréquences absolues, atemporelles. Cette échelle physique permet alors la comparaison objective des différentes théories, établissant en conséquence une trajectoire diachronique de la théorie astro-musicale à travers les siècles.

En 2012, le plasticien Norbert Godon et moi-même avons collecté un millier de références abordant le vaste sujet de la synesthésie sonore, pour fabriquer un cabinet de curiosités, appelé « le cabinet psycho-phonétique », consacré aux caractéristiques plastiques des sons et plus particulièrement des sons du langage. Plusieurs oeuvres permettent de faire apparaître la forme, le volume, la couleur, la luminosité́, l’angularité́, l’odeur, le poids ou le sexe des phonèmes dont nous faisons la matière de nos phrases. De cette étude bibliographique, j’ai réuni un corpus d’une quinzaine de théories musi-cosmogonique allant de Pythagore (Vème siècle avant JC) à Goldschmidt au XXème siècle.

Je ne vais pas ici paraphraser la conférence dans une version réduite et vulgaire, mais donner quelques exemples pour illustrer ma démarche.

Tout commence avec Pythagore, Il existe sept intervalles entre les notes de sa gamme et autant de planètes.

Les planètes sont positionnées en fonction de leur vitesse de déplacement vues depuis la Terre, puisque nous sommes ici dans un système géocentrique selon l’ordre suivant :si (Saturne), do (Jupiter), ré (Mars), mi (Soleil), fa (Mercure), sol (Vénus) et la (Lune). En calculant les fréquences de ces notes, selon la gamme Pythagoricienne et partant d’un diapason moderne, on aboutit à la liste de hauteurs absolues suivante.

De Pythagore à Naturalis concordia vocum cum planetis (~1100), l’ordre des planètes et leur affectation aux notes varient selon les auteurs : Platon, Pline l’ancien, Nicomacque de Gerasa, Ptolémée, Don Cassius, Censorin, Boèce

Puis les théories se complexifient avec les avènements d’un système héliocentrique, de la gamme tempérée, de l’avancée des mathématiques sur le calcul des rationnels, des trajectoires orbitales des planètes. Par exemple, dans le système de Kepler la hauteur varie dans le temps, selon l’excentricité (puisque plus l’excentricité est grande, plus la différence des vitesses – aphéliques et périhéliques – est grande) : Fludd, Maier, Bode, le cristallographe Goldschmidt préféra utiliser comme unité astronomique, non la distance de la Terre au Soleil, mais la distance de Jupiter au Soleil. Pour chacune de ces théories, en les mettant au même diapason, il m’a été possible d’attribuer une fréquence à chaque astre.  

Chaque piste de l’album « Musique des sphères » est un voyage dans l’un de ces systèmes astro-musicaux. Un modèle physique de notre système solaire élaboré à partir des données les plus actuelles de la NASA, permet la simulation d’un voyage aller-retour 100 000 fois accéléré d’un vaisseau-microphone spatial entre l’héliopause et le soleil.

Fidèle à la démarche contemporaine du transcodage et de la sonification, j’ai finalement complété la liste des modèles astro-musicaux en ajoutant des modèles musicaux, chacun reliés à différents types de données issues de la NASA : Rayon, masse, rotation, révolution, température et distance des astres.

Ouverture

D’une manière métaphorique, partant de la gamme naturelle de Pythagore jusqu’aux variations elliptiques de la fréquence dans le système de Kepler, « Musique des sphères » donne à entendre la complexification esthétique liée à l’inexorable progrès scientifique. Je ne vais pas ici paraphraser la conférence dans une version réduite et vulgaire, mais la comparaison auditive de ces systèmes fait apparaitre de grands phénomènes dans l’évolution de notre représentation méta-physique du monde qui ont des réminiscences à la fois en astronomie et en musique. Par exemple, la coïncidence de la polyphonie et de l’héliocentrisme s’entend dans la rupture esthétique que produit le système de Kepler. Les différents systèmes contemporains érigés par sonification directe des données physiques de la NASA reflètent l’affranchissement contemporain de la tonalité.

Je vous remercie de votre attention.

Actualité

http://www.gregbeller.com/2015/12/yohkoh/

Au passage, une autre oeuvre astro-musicale pour le plus grand plaisir de vos oreilles (fermez vos yeux).

Il s’agit d’un Hörspiel dans lequel vous pouvez suivre la vie accélérée d’un photon (oui c’est possible) voyageant de son soleil natal aux confins de l’univers.

Je suis actuellement en travail avec la Sternwarte d’Hamburg et un orchestre Bohlen-Pierce pour une création à l’automne 2022.

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